Les voleurs de pauvres

S’étant promis un trip sauvage dans les sierras mexicaines, le narrateur découvre que les écrits du mage Carlos Castaneda (qui n’aurait jamais mis les pieds dans les montagnes des indiens Huichols) relèvent de la blague, du coup littéraire, de l’affabulation digne de Ponson du Terrail ; qu’il n’y a au pays des Aztèques ni pouvoirs paranormaux, ni Indien solitaire, ni peuple poète, mais de pauvres gens dont on pille les terres, des enfants non vaccinés, des langues indigènes en voie d’extinction, des barrages qui inondent leur pays, des forêts décimées, des catastrophes écologiques. C’est en poète qu’Alechine entend rendre justice au réel … Démarrant sous les auspices d’un voyage à la Kerouac, “Les Voleurs de pauvres” dépeint la mutation d’un ‘desdichado’ halluciné par les ravages du progrès. En quête d’illuminations, sous l’empire du peyotl, le narrateur, “détective de lui-même” et adepte des paradis artificiels, se dédouble en voyageur engagé, témoin de l’enfer des autres : “un espion dans le corps de quelqu’un”, aurait dit l’auteur des “Anges vagabonds” … Alechine pousse un cri contre les “civilisateurs”, ces barbares maqués qui coulent la planète dans le béton. La terre se couvre de parkings, de routes, de béton. Poésie et environnement sont liés : si la terre meurt, l’inspiration aussi. Un premier temps, le narrateur, Iman, pense que la magie mexicaine peut lui venir en aide, revivifier son sentiment poétique, et il se lance à la recherche de Don Juan Matus, ” l’Indien solitaire ” que l’on rencontre dans les livres de Carlos Castaneda. Mais la réalité est tout autre. En parlant des grottes de la Mazatèque encore inexplorées, Randall, l’un des interlocuteurs d’Iman, lui dit : ” chaque fois qu’on en découvre une, on superpose nos paroles sur celles des ancêtres “. C’est sans doute parce qu’il a perdu ses propres repères qu’Iman se sent si proche des Indiens. Certes, ils sont poètes et magiciens, mais on les pille, des barrages inondent leurs terres, la déforestation avance et leur pensée est menacée, comme celle du héros avant sa rencontre avec les Huichols, ces cousins survivants des Aztèques qui n’ont rien perdu du sens du monde.