Retour définitif et durable de l’être aimé

Vous qui entrez dans ce livre, abandonnez vos repères, renoncez à vos certitudes, lâchez la rampe ! Demande-t-on à un musicien raison de chacune de ses notes ? A un peintre de justifier tel aplat de couleur ? C’est l’effet d’ensemble qui importe, le rythme et l’harmonie du tout qui, à la fin, déterminent le jugement. Fiez-vous à votre oreille, c’est l’organe le plus sûr pour lire Olivier Cadiot, qui, depuis près de quinze ans, sans se précipiter, avec conscience et constance, affûte son instrument littéraire de haute musicalité et de belle précision. Il n’improvise pas : la moindre de ses pages le démontre … Certes, il s’agit ici d’un livre, de mots, et donc de sens. Simplement, l’effet d’entraînement, la vitesse, l’accélération, et donc l’urgence du propos, commandent : la mise en voix du texte par l’auteur même est, à cet égard, plus qu’éloquente. Son audace n’est pas seulement formelle : elle touche le fond, le révèle. Et c’est à partir de ce fond que Cadiot nous invite à épouser les rythmes et le style qu’il invente. Le sens vient après, est déduit du mouvement, mais nullement oublié. “Je ne comprends pas tout, je devine, j’essaye.” Lecteur, vous êtes logé à la même enseigne, soumis à la même contrainte. Ne vous armez d’aucune prévention ; avancez tel que vous êtes ou devriez être : désarmé, disponible … Comme dans les meilleurs livres d’aventure, le lecteur est conduit où il ne pensait pas aller. N’en disons pas plus. “Je suis en morceaux.” dit l’un des personnages, peut-être le personnage principal, peut-être le narrateur : comment savoir qui parle lorsque la personne est en morceaux ? Retour définitif et durable de l’être aimé est le livre du morcellement : trois chapitres à formes fragmentées. Des fragments fragmentés eux-mêmes. Des phrases éparpillées. Il faut “finir par tout comprendre comme se révèle patiemment un ciel de puzzle”. écrit l’auteur. Mais doit-on vraiment tout comprendre ? Pour entrer dans le livre d’Olivier Cadiot, ne faut-il pas plutôt renoncer au sens ? C’est un univers intérieur qui se trouve écrit sur la page. L’ennui. le vide. L’errance. La bêtise. Les recettes pour s’en tirer malgré tout. Tout cela multiplié, ressassé, décomposé. C’est l’entrée au microscope dans les veines d’un homme qui souffre. Le dernier livre d’Olivier Cadiot est donc un livre qui demande du temps. Il faut l’apprivoiser. Accepter d’être face à l’étrangeté. Le retour définitif et durable de l’être aimé est à ce prix. –Isabelle Magnien La société explose et s’expose. Contradictions, absurdités, d’entrée de jeu le récit nous accueille sur un lapin fluo et une digression bovine. “Les vaches chez nous, on les tue. Viande sur pied dès la naissance, placard de boucherie ralenti dans les prés…” Révolté, amoureux, Robinson, le narrateur, distille avec force ses impressions, ses sentiments, ses errances. Il aime une fille aux cheveux d’or, belle comme une statue. Il déambule, la croise, la perd, ne l’entend pas, ne la reconnaît pas. Il est anesthésié par le vacarme du monde. Sauf que, en un mot, le tout dernier, Olivier Cadiot ouvre la porte de l’espoir. Des idées, des phrases, des lettres, un rythme. Le texte vibre, telle une musique, modulé, à contretemps, saccadé. Il faut savoir écouter ce que l’on lit car, “c’est dans les livres qu’on parle vraiment”. Ce livre poursuit la série des aventures de Robinson (après Futur, ancien, fugitif et Le Colonel des Zouaves) mais cette fois-ci pas d’île, ni de caisses retrouvées sur la plage, pas de château anglais ni d’affaire d’espionnage, juste un cerveau autodidacte qui essaie de s’en sortir au mieux avec pour seul bagage des idées inadéquates et des livres mal compris. Difficultés en amour, explosion du passé dans le présent, traversée du végétal, accès à poussières, possibilité de chansons, amulettes futur. Ouvrage broché au format 14×20,5, 260 p. Très bon état. Editions P.O.L. 2002. Envoi rapide et soigné.