Un mal qui répand la terreur

A ses débuts américains, le cinquième roman de Stewart O’Nan pouvait relever de commentaires qui n’auraient pas menti sur ses qualités. En l’occurrence, le travail d’un très bon auteur, jeune écrivain bien connu d’un cercle d’admirateurs, attelé à la construction d’une oeuvre originale et forte. Effrayant par son sujet, troublant par son style, mais relégué loin dans l’histoire à l’issue de la guerre de Sécession, les ravages provoqués par un gigantesque incendie et par une épidémie de diphtérie sur une population totalement désarmée face au feu et à la maladie. Deux ans plus tard, au moment de sa publication en France, “Un mal qui répand la terreur” ne peut plus se lire exactement de la même façon. Traversé par l’actualité, le texte a quitté le domaine de la pure fiction, ajoutant à ses mérites un effet de souffle qui le rend plus angoissant, presque prophétique. Entre-temps, les Etats-Unis se sont sentis menacés, sur leur propre territoire, par des forces sans contours précis … Nous voilà donc aux côtés de Jacob Hansen, shérif, croque-mort et prédicateur d’une petite ville du Wisconsin. A lui seul, Jacob incarne le rêve d’innocence, de fraternité, de pureté, des Etats-Unis d’Amérique à leur commencement. Mais le prédicateur est aussi confronté, par ses autres métiers, au péché, à la mort, à la décomposition des corps. Et non content de connaître le mal, il le porte en lui. Bouclant une terrible parabole, O’Nan montre de quelle manière celui qui veut sauver ses semblables à tout prix, finit par leur apporter la mort. Le récit est mené dans le souci du lecteur, d’une belle écriture où se côtoient terreur, émotions fortes et poésie des sensations. Tutoyant son personnage tout au long du texte, Stewart O’Nan fait beaucoup plus qu’user d’une coquetterie littéraire : il entre à la fois dans l’intimité de Jacob Hansen et dans celle du pays que cet homme s’acharne à bâtir. Friendship, dans le Wisconsin. Jacob Hansen sillonne à bicyclette cette ville dont il est le shérif, le pasteur et aussi l’embaumeur. Il aime les journées éclatantes, alanguies, de l’été. Mais voici qu’il découvre un mort – sans doute un soldat perdu, qui a échoué là, après la guerre de Sécession. Lorsqu’il amène le corps chez Doc Guterson, celui-ci est formel : c’est la diphtérie qui l’a tué, il faut être prudent, éviter l’épidémie. Jacob Hansen se souvient de cette guerre, il en est revenu avec une phobie des chevaux et un intérêt sentimental pour les morts. En dépit des recommandations de Doc Guterson, il embaume le corps du jeune soldat, à ses risques et périls. Le mal frappe les siens, et se répand dans la ville, tandis que l’incendie qui embrase l’horizon depuis quelques jours se rapproche. Un mal qui répand la terreur est un récit gothique plongé dans une lumière aveuglante, sous un ciel de cendres. Et, comme chez Edgar Poe, c’est l’ombre qui triomphe de la lumière. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-François Ménard.