White

« Le marécage est pour le feu follet, la lave pour le troll, la forêt pour l’elfe : le pôle Sud est notre forme, comme la mer pour le mélancolique, la chaise longue pour le tuberculeux, la pièce vide pour l’amnésique. » Singulier roman que le nouvel opus de Marie Darrieussecq, qui concentre tous les thèmes et toutes les obsessions de l’auteur de Truismes – la mer, le corps, l’histoire, les fantômes, la disparition, la sensation, la présence à soi, aux autres et au monde, la sexualité, etc. – le temps d’un long séjour au pôle Sud. Là où, pour Edmée Blanco, ingénieure bilingue en télécommunication, héroïne middle class célibataire, il sera possible de trouver « un fond de globe intact ». Mais pourquoi le pôle Sud vous direz-vous ? Pour la réalisation du projet White, soit la construction d’une base d’observation européenne en antarctique. Là-bas, dans cette position radicale qui n’est pas une marge mais un espace-temps à part entière livré à la violence et à l’indifférence de l’archaïque, le lecteur, qui serait en droit d’attendre une aventure en bonne et due forme se déroulant au milieu des pingouins, arpentera plutôt un territoire mental au plus près de la sensation, au plus près du corps d’Edmée Blanco, au plus près de son histoire et des fantômes qui l’observent. Jamais tranquille, même au pôle Sud ? D’une certaine manière, oui. Surtout quand l’amour s’en mêle avec l’apparition dans l’équipe présente sur le site de Peter Tomson, un technicien vaguement viking. Et l’ordre du monde dans tout ça ? “White”, de Marie Darrieussecq, est sans doute le roman le plus inventif de l’année 2003, et l’on peut regretter qu’il ait été oublié de la critique en général et des jurys littéraires en particulier, même si l’auteur n’a pas besoin de cette reconnaissance officielle pour exister. … “White”, c’est l’hymne à l’Océan, l’homme amphibie, ou même la “fille de neige” qui fait une apparition au chant VI. Ceux qui se reconnaissent dans les magnétiques tempêtes du Montévidéen vont suivre Darrieussecq dans ce nouveau voyage. Rien à voir avec la littérature de nos modernes têtes molles, cherchant l’anecdote, l’apex et la chute, la psychologie et les symboles. Il s’agit d’incantation, de plaisir, de sens, de couleur, de douleur, du corps et de l’âme. Si on court après des bulles, on manque le rythme, le feu, la glace. … Plongez dans ce livre merveilleux, entrez dans cette jubilation. Vous sentirez les mouvements de la mer contre la coque du bateau comme sans doute jamais vous ne les avez ressentis. Une base scientifique européenne posée quelque part dans l’immensité blanche en Antarctique, le ” Projet White “. Des chercheurs, des glaciologues, mais aussi un cuisinier, un intendant, un chauffagiste, Peter Tomson, et une standardiste, Edmée Blanco, la seule femme, s’y côtoient., enfermés pour six mois, le temps d’une mission. Tout ce petit monde transporte ses propres fantômes et croise ceux qui rôdent, nombreux, au pôle Sud. De l’aventure ! Du chaud! Du froid ! Des bons et des méchants ! De l’amour ! Jusqu’à quel point faut-il se débarrasser des fantômes pour faire l’amour ?