Des oiseaux sans ailes

Cela aurait pu être une version orientale de “Roméo et Juliette”, les amours contrariées de Philotéi la belle chrétienne et d’Ibrahim le berger musulman sauf qu’à l’époque, au tout début du XX° siècle en Anatolie, la différence de religion n’est pas un obstacle. Grecs et Turcs, orthodoxes et musulmans vivent en bonne intelligence. En 1900 dans le village d’Eskibatche, lorsque naît Philotéi tout le monde s’extasie sur sa beauté, y compris l’imam et il devient clair rapidement qu’Ibrahim et Philotéi sont faits l’un pour l’autre. C’est compter sans les fracas de l’histoire. L’Empire ottoman tremble sur ses bases, Mustapha Kemal devenu Atatürk rêve de fonder une nouvelle nation, des pays dont les villageois anatoliens n’ont jamais entendu parler sont en guerre. En 1915 une expédition franco-britannique échoue à Gallipoli dans le détroit des Dardanelles. Au terme du conflit on redéfinit les frontières, on échange les “minorités”. Un million et demi de Grecs d’Asie Mineure sont expédiés vers un pays qu’ils ne connaissent pas, quatre cent mille Turcs d’Europe sont envoyés dans un pays dont ils ne parlent même pas la langue. Les destins individuels ne pèsent pas lourd dans ces marchandages, ne restent que les regrets d’une époque où les gens pouvaient coexister malgré les différences de confession et même, pourquoi pas s’aimer. Avec un art oriental du récit Louis de Bernières excelle à mêler le tragique individuel aux tourments de l’Histoire dans un roman qui a le souffle de “Guerre et Paix” et le charme des “Mille et Une Nuits”. Né à Londres en 1954 est considéré comme un des meilleurs romanciers britanniques contemporain, auteur entre autres de “La Mandoline du capitaine Corelli” (Denoël et Folio) traduit en une quarantaine de langues et adapté au cinéma. Ceux qui sont restés ici se sont souvent demandé pourquoi Ibrahim était devenu fou. Je suis le seul à le savoir, mais j’ai toujours été tenu au silence parce qu’il m’a supplié de respecter son chagrin, ou, comme il a dit aussi, d’avoir pitié de sa culpabilité… À présent, il me semble que nul ne serait trahi si la vérité était enfin connue. Il ya eu chez nous tant de sang répandu que ce ne peut pas être très grave si je finis par raconter le malheur qui a frappé Philotéi, douce, chrétienne, futile et belle. À Eskibahtché, paisible village d’Anatolie, où Grecs et Turcs, chrétiens et musulmans, vivent en paix depuis des siècles, est née en 1900 la ravissante Philotéi – personne n’avait jamais vu une aussi jolie petite fille. Elle y grandit aimée de tous et surtout d’Ibrahim, le petit berger. Mais, loin de ce coin perdu, les grandes puissances européennes s’affrontent et se déchirent, tandis que Mustafa Kemal, devenu Atatürk, entreprend de construire un État national turc. Les uns après les autres, les habitants d’Eskibahtché vont être jetés dans des conflits qu’ils ne comprennent pas. Comment devenir l’ennemi de son voisin, de son frère ? Que peuvent l’amour, la tendresse, la vie d’une petite communauté contre la violence et la folie des hommes ?