Eloge des femmes mûres

Ce roman éblouissant n’aura mis qu’un peu plus de trente-cinq ans à être traduit en France après l’avoir été un peu partout dans le monde, avoir inspiré deux films et s’être vendu à plus de trois millions d’exemplaires. C’est à se demander où nos éditeurs ont la tête … Grâces soient donc rendues à Samuel Brussel et à sa collection Anatolia … “Un classique de la littérature érotique”, proclame la quatrième de couverture. Alors qu’il s’agit par bonheur de bien autre chose. Quitte à décourager quelques lecteurs friands de spectacles sexuels et de gymnastique amoureuse, il est honnête de préciser que l’ “Eloge”, loin des fantasmes et des névroses, cherche, comme tous les grands romans, à apprendre à ceux qui les lisent la vérité de la vie. C’est un roman d’apprentissage qu’il serait souhaitable d’offrir aux jeunes gens des deux sexes dès qu’ils abordent les rivages enchantés et angoissants de la sexualité. Un traité d’humanité. Le livre raconte l’initiation d’un jeune homme au bonheur amoureux, l’itinéraire qui le mène à la découverte de lui-même et des autres à travers l’expérience des femmes. Il se nomme Andras Vajda, il ressemble comme un frère à l’auteur. Hongrois, il a connu gamin les privations et les troubles de la guerre et de l’après-guerre, l’occupation soviétique, la terreur et la pudibonderie staliniennes qui n’épargnaient pas les chambres à coucher, la révolution de 1956, la fuite hors de la patrie, le vertige de l’exil, la découverte du Nouveau Monde, si étrange, si éloigné des traditions et des solidarités de la vieille Europe catholique. Face au jeunisme et aux cloisons, physiques et psychologiques, entre classes d’âge qui sévissent dans les sociétés modernes où chaque génération semble appartenir à une période différente de l’histoire, Vajda-Vizinczey, “ayant eu la chance de grandir dans ce qui était encore une société non cloisonnée”, veut contribuer à mieux faire comprendre “cette vérité qu’hommes et femmes ont bien des choses en commun même lorsqu’ils sont nés à des années d’écart.” … Rien d’extraordinaire dans les aventures de Vajda, pas de bluff, pas d’illusion, pas de transes extatiques ni d’exhibitionnisme, pas la moindre provocation. Vizinczey n’a que faire de la transgression et des petits coqs métaphysiques. Apprendre la vie lui semble une ambition suffisante après avoir failli perdre la sienne. “L’Eloge des femmes mûres” est aussi une déclaration d’amour et d’infidélité à la mère patrie.