Etty Hillesum : Un itinéraire spirituel, Amsterdam 1941 – Auschwitz 1943

LA DEDICACE DE L’AUTEUR : Je ne crois pas me tromper en supposant que, comme moi et la plupart de nos contemporains, vous éprouvez une méfiance justifiée à l’égard des idéologies qui prétendent rendre raison de l’ensemble du réel – comme celles qui ont marqué et ensanglanté l’Europe au cours du XXe siècle. Mais cela ne nous empêche pas de nous poser, avec une lucidité accrue, la question du sens de la vie, de la nôtre et celle de nos frères en humanité. Pour éclairer cette question du sens, nous sommes néanmoins plus spontanément attentifs aux témoins qu’aux théoriciens. Pour ma part, j’ai personnellement rencontré, comme un nombre croissant de nos contemporains, un de ces témoins, par le truchement du journal qu’elle a rédigé au moment où notre Europe vivait les années les plus tragiques de son histoire. II s’agit d’une jeune femme de 27 ans, d’origine juive, Etty (Esther) Hillesum, qui a vécu et confié à des cahiers d’écolier un éveil spirituel d’une intensité et d’une lucidité bouleversantes, au moment où l’occupant nazi préparait méthodiquement l’extermination de la communauté juive des Pays-Bas. Après avoir longuement fréquenté et partiellement traduit en français les 700 pages de ce document, publié plus de 40 ans après la mort d’Etty à Auschwitz (novembre 1943), je me suis senti impérieusement appelé à en partager la richesse et aussi la beauté littéraire avec mes compatriotes européens – trois traductions en d’autres langues ont paru quelques mois après l’original français (je suis moi-même d’origine belge, professeur à la Faculté jésuite de théologie de Bruxelles). Que ce témoignage ne puisse être revendiqué par aucune famille confessionnelle, cela n’en affecte ni l’authenticité, ni l’actualité dans le contexte pluraliste qui est aujourd’hui celui de notre culture européenne. Sa valeur consiste essentiellement dans la persévérante et loyale fidélité d’Etty à faire de sa vie, ainsi qu’elle l’écrivait, “une perpétuelle écoute de moi-même, des autres, de Dieu”. C’est en cela que son témoignage concerne tout croyant, mais aussi tout homme qui s’interroge sur le sens de sa vie, de cette merveilleuse et tragique aventure humaine où nous nous trouvons solidairement engagés. (Paul Lebeau) Quand eurent lieu les premières rafles de Juifs par les nazis aux Pays-Bas, une jeune intellectuelle juive néerlandaise décida de s’engager au service des internés, dans le camp de ” transit ” de Westerbork. Demeurant libre, Etty Hillesum s’investit corps et âme dans cette tâche bouleversante, jusqu’au jour où elle fut elle-même happée par la machine infernale. Son journal, extraordinaire témoignage sur sa vie intérieure durant ces années terribles, ne fut publié en 1981 que par extraits, traduits en quatorze langues. Il s’y exprime, sous forme de réflexions, de courts récits ou de prières, une expérience spirituelle absolument unique, aux confins de l’agnosticisme, du judaïsme et du christianisme. C’est cette irréductible singularité qu’a voulu explorer le jésuite Paul Lebeau, après avoir longuement fréquenté la totalité de l’œuvre d’Etty Hillesum, qui représente plus de huit cents pages. S’appuyant sur de larges passages de ces textes, dont certains sont pour la première fois traduits en français, il montre comment cette âme hors du commun, au travers de formules aussi simples que fortes, parle au monde contemporain. La lecture de ces écrits d’une étonnante modernité nous révèle à la fois la difficulté et la nécessité de penser ” Dieu après Auschwitz “. Un récent – et remarquable – ouvrage de Sylvie Germain nous a permis de renouer avec la figure tragique d’Etty Hillesum, cette intellectuelle juive hollandaise morte dans les camps après s’être dévouée, dans le camp de transit de Westerbork, à ses frères raflés et promis à la mort. À côté de cet acte de foi d’une femme à un autre femme, d’une romancière à une martyre, l’ouvrage du jésuite Paul Lebeau apporte une autre vision, plus biographique et érudite mais non moins fervente. Ponctué d’émouvantes photos (d’Etty, de ses proches), basé sur une lecture patiente des 800 pages laissées par Etty Hillesum (dont certaines traduites pour la première fois), ce livre reconstitue la trame de ses angoisses et de son cheminement intellectuel ; un parcours intérieur nourri de philosophie et de contemplation esthétique auquel une “révélation” mystique donnera son sens, et la mort à Auschwitz en 1943 son couronnement tragique et sacrificiel. Un ouvrage précieux pour découvrir et approfondir la connaissance de cette sœur d’Anne Frank et d’Edith Stein. –François Angelier