Fanta, fleur et martyre

Biologiste guyanaise, Fanta Dalcé travaille à Cayenne dans un laboratoire d’aide à la procréation. Au milieu des incubateurs et des litres de liquide folliculaire, elle se consacre à l’étude des spermatozoïdes, observant les misères et les espérances des couples infertiles. Prisonnière de sa relation fusionnelle avec sa mère, écrasée par la sensualité de sa demi-soeur, une beauté qui se joue des hommes, Fanta tente d’affirmer sa propre féminité. La nuit, sur son site Internet, elle prend sa revanche et devient Fanta-Fantasma, femme vénéneuse et fatale qui prodigue ses conseils aux amateurs de plantes carnivores. Jusqu’au jour où la route de Drago Nelson, strip-teaseur en tournée avec Les Latinos Lovers et collectionneur de liaisons passagères, croise celle de Fanta-Fantasma. Dès lors, Fanta n’a qu’un rêve : charmer cet homme irrésistible. Pendant les festivités du carnaval, elle décide de jouer son va-tout. En ces nuits de bal et de folie, les femmes se métamorphosent en Touloulous. Méconnaissables, elles ont le droit de faire ce qu’elles veulent des hommes. Drago est envoûté… Mais Fanta se laissera-t-elle détourner de ses dangereuses obsessions ? Végétation luxuriante, amours sorciers et mises en scène baroques sont au coeur de ce roman, qui n’est pas sans rappeler le réalisme magique des grandes oeuvres latino-américaines. Valérie Rodrigue a publié La Peau à l’envers (Robert Laffont. 1989) et Poupée Paradis (Calmann-Lévy, 1996). Elle signe ici son troisième roman. Extrait du livre : Un aspirateur à drôlesses, ce type. Déjà gamin, il faisait son intéressant et harcelait sa mère pour qu’elle lui achète des habits de marque. Sa pauvre maman répondait à ses quatre volontés, même quand il avait abandonné l’école pour se destiner à la pêche. Elle n’avait que lui au monde, après sa foi superstitieuse. Il fallait se mettre un peu à sa place. Fanta farfouilla dans une pile de fax posée sur le comptoir de l’accueil, faisant mine de prêter l’oreille aux jacasseries des collègues pour mieux observer sans avoir l’air impolie. Les secrétaires allaient bientôt annoncer à l’habituée du fond, amarrée à son sac, qu’elle devrait ajourner ses projets de layette: son test de grossesse était encore négatif. Tous les mois, c’était la même crise de larmes. Pauvre femme habillée en fillette endimanchée, comme pour infléchir le destin. Le panier de pelotes de laine abandonné à ses pieds, chaque coup d’aiguille ayant toujours marqué le temps qui passe, au temps où elle tricotait avec assiduité. Man Gisèle, trente-cinq ans, mariée sur le tard à un garagiste dont la patience avait des limites. Chez lui, on payait comptant. C’était la dernière chance qu’il accordait à son épouse pour lui donner un fils. Si elle s’obstinait dans la défaillance, la scélérate serait bonne pour la casse. Il le lui avait dit, avec d’autres mots, ici même, devant tout le monde. Quant à faire examiner son sperme pour y déceler une éventuelle anomalie, pas question. Sa femme fonctionnait mal, pas lui, évidemment. Gisèle était tournée vers la fontaine miniature qui trônait sur la table basse, à côté des magazines, égrenant sa berceuse mouillée, mais le regard de la femme s’échappait, incapable de se fixer. Fanta retint une envie de l’attraper par les épaules pour la soustraire aux heures à venir. Oui, l’entraîner sur la plage caillouteuse et lui conter des histoires, celle de man D’lo, l’esprit de l’eau, yé krik, yé krak, puis la poser dans une embarcation qui l’emmènerait loin d’ici.