Journal apocryphe d’un president – J’allais vous dire

«Tout ou presque tout est désormais joué : je quitterai la scène de l’Histoire à la façon des habiles, sur la pointe des pieds… Le temps fut mon ami, mais pas jusqu’au bout, ce qui est dans sa nature.

Que restera-t-il de ces douze années ? Que laisserai-je à la mémoire de mon temps ? Le changement du personnel dirigeant, sa durée sans doute. Ce n’est déjà pas rien. Le socialisme ? Je n’ai jamais adhéré à la valeur absolue d’une doctrine particulière. Je n’ai jamais voulu enfermer mon action dans une idée, dans des principes fixés pour l’éternité. Redirai-je ici ma fierté d’avoir aboli la peine de mort ? Ou celle d’avoir amplement élargi la liberté et les pouvoirs des collectivités locales ? Si je n’avais fait que cela, ce ne serait pas dérisoire. Je m’interroge sur la portée de ma contribution à la construction de l’Europe. L’idée est noble et séduisante, par ce qu’elle porte en elle de paix perpétuelle, de dialogue et de compréhension entre des nations si longtemps hostiles. J’ai fait reculer les démons du gaullisme qui s’étaient acharnés à sa perte…

Et si de tout cela il ne restait rien, si l’on n’en retenait rien, je n’en aurais pas moins vécu une belle aventure personnelle. Voilà ce qu’aucun ne pourra contester. Et moi, le moment venu, oublieux des regrets et des reproches, j’écouterai, serein, l’appel de
Charles Baudelaire :
“O mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie, ô mort ! Appareillons” »