La colère des enfants déchus

Le cimetière était désert on ne rend pas visite aux morts le soir de Noël. Allée H, travée 5. Un secteur où les tombes étaient plus petites, où les fleurs étaient blanches. Il s’arrêta devant l’une d’elles. Dans un cadre de marbre, une vieille photo. Un prénom et un nom, Romain Polakovits. Il déposa le livre sur la tombe et rajusta son manteau. Dix ans. Son frère était mort à l’âge de dix ans, d’une flèche dans la poitrine qui l’avait cloué contre un arbre. Le ton de sa voix devint rauque. “Dors en paix, petit frère. Ils ont eu leur compte. Je vais maintenant me reposer et ne penser qu’à ce jour-là. Ce jour où tu m’attendais. Ce jour où je suis arrivé en retard”. À l’heure du web et de la mondialisation, les réseaux pédocriminels s’organisent en toute impunité, ne laissant aucune chance à leurs petites victimes. Thriller palpitant, d’une noirceur absolue, sur un sujet extrêmement sensible, ce sixième roman de Catherine Fradier est aussi le plus abouti. Extrait du livre: À travers le cuir, il sentait la douce chaleur de Depa, une fille qui parlait peu mais juste. Elle était si jolie. Le savait-elle seulement ? Il en doutait. Peut-être que d’autres garçons le lui avaient dit mais il était certain qu’elle s’en moquait. Parce qu’entre eux et les autres, il y avait un océan sans fond, infranchissable. La main de Depa exerça une pression sur l’épaule, ce qui lui fit tourner la tête vers la maison. La cible sortait. Il faisait encore sombre mais il devinait l’homme, le sentait, le humait, le reniflait. La combinaison blanche tassait la silhouette. L’homme paraissait encore plus petit, plus insignifiant. Il avait appris à se méfier des insignifiants, de ceux qu’on ne voyait que par transparence. Un jour ou l’autre, ils vous le faisaient payer. L’homme monta dans la camionnette, mit le moteur en route. Yoda fit ronronner la moto et suivit la camionnette qui s’ébranlait dans le petit jour. Depa avait enroulé ses bras autour de sa taille, il sentait son buste contre son dos, son corps collé au sien, souple, qui allait au gré des courbes de la route. La camionnette les distanciait. C’était sans importance, il savait où la retrouver. Une brume ouatée s’effilochait au-dessus de la végétation mouillée, qu’enluminaient les rayons rasants. Les premières maisons du bourg avalèrent la camionnette. Il ralentit, longea la rue principale encore déserte, puis s’engouffra dans une impasse envahie par les herbes. La maison en contrebas était en vente, comme en attestait la pancarte rouge accrochée au grillage. Ils laissèrent la moto sous son auvent.