La Forme profonde

D’une autre génération – il a trente-cinq ans -, Denis Lachaud appartient lui aussi à cette lignée d’écrivains qui s’attachent à montrer et à faire vivre les choses qui se cachent derrière les choses … Avec “La Forme profonde”, Lachaud étend son roman à toute une rue d’une grande ville maritime – on songe à Nantes et à son agglomération. Une ruelle tranquille, en apparence, à l’écart des grands mouvements urbains d’industrialisation qui affectent la forme même de la manière de vivre ensemble. Ici, quelques familles, dans la quiétude de l’été et dans la proximité de la mer, vivent des existences ordinaires, comme heureuses. Réglées, ritualisées, commandées par les règles strictes et implicites du bon voisinage et de la hiérarchie sociale. Et les jours reproduiraient les jours dans la même atonie, si quelques adolescents de ces familles sans histoire ne venaient, comme malgré eux, au nom du seul bouleversement de leur âge, rompre le cercle de la tranquillité. La violence, la sexualité, la haine de soi et des autres, infectent secrètement le petit monde des gamins et – sans qu’ils s’en rendent vraiment compte – celui de leurs parents. Cela ne dure pas longtemps – le temps d’un été -, cela ne change guère la surface des choses – quelques incidents, quelques souffrances, de la vie qui naît, de la vie qui fuit … Denis Lachaud excelle dans la peinture de ces jours que l’on dit ordinaires, vécus par des familles que l’on croit anonymes. Il lui suffit de presque rien, de quelques traits, de trois phrases de dialogue pour faire comprendre l’essentiel : le besoin de continuer et le désir de changer, le morne optimisme des vies toutes tracées et l’énergie rageuse des destins qu’on invente. Et, sous l’immobilité apparente de la surface, le travail secret et bouleversant de l’histoire. Dans une impasse résidentielle tranquille du bord de mer, des enfants grandissent en toute sécurité, sans déranger personne. Leurs parents se côtoient, se fréquentent ou s’ignorent, happés par le quotidien et leurs soucis d’adultes. La violence ordinaire s’insinue pourtant dans le clan des enfants, bouleverse les destins sans faire de vagues. Une violence imperceptible par les parents, mais à la hauteur de leurs propres mensonges, et de ce territoire impalpable et pourtant si maîtrisé du paraître. Entre peur de l’interdit et faux-semblants, qu’en dira-t-on et jeux de rôles, rue des Marsouins l’été passe en silence… Dans une ville portuaire au bord de l’océan, où les industries ont remplacé l’artisanat, on fabrique des paquebots énormes. Au milieu de cette cité ” dynamique ” et de ces gens pressés, résistent les habitants de la rue des Marsouins, impasse se terminant par un escalier qui mène à la mer. Au cours d’un été différent, les enfants protégés de l’impasse vont changer, adopter une violence engendrée par la soudaine importance du paraître. L’histoire admirablement écrite d’une oasis qui s’altère petit à petit pour ressembler au désert qui l’entoure.