La voix douce du serpent

Nadine Gordimer a toujours écrit des nouvelles, qui, pour beaucoup de critiques littéraires, se placent au plus haut niveau de son œuvre. hauteur a fait, elle-même, le choix des nouvelles incluses dans ce recueil, tirées de cinq ouvrages publiés entre 1951 et 1975, et portant sur trente ans de sa carrière d’écrivain. Elles sont toutes inédites en France, où elles sont présentées en deux tomes, La Voix douce du serpenter Le Magicien africain ; leur publication comble ainsi un manque important. Ces nouvelles présentent des personnages inoubliables provenant de toute la gamme de la société humaine. Le paysage qu’ils habitent – de la rivière Zaïre à une Johannesburg noire, en passant par les jardins ensommeillés des banlieues des Blancs – est saisi d’un œil auquel rien n’échappe, et dépeint avec une concision et une puissance d’expression qui font le talent de Nadine Gordimer. Nous découvrons une femme blanche qui, par son empathie avec l’injustice raciale, pousse au ridicule les hommes noirs qu’elle rencontre ; un vieil Afrikaner décidé à savourer l’aventure nouvelle d’un Etat africain gouverné par les Noirs ; un étudiant noir qui tout à coup sent le besoin de se soustraire à l’émancipation que les libéraux blancs envisagent pour lui ; une jeune mariée, poupée sexuelle, qui, devant son appartement saccagé, découvre soudainement l’horreur, la bestialité que cachait son existence rose bonbon. Ces nouvelles ont pour cadre l’Afrique du Sud, mais par la force, l’énergie, la vérité qui les animent, elles atteignent à l’universel. C’est sans doute cette forme parfaite, dense et compacte, qui rend les nouvelles de Nadine Gordimer si convaincantes. Ecrites entre sa vingtième et sa cinquantième année, celles-ci ont été sélectionnées par l’auteur elle-même à partir d’ouvrages sortis entre 1953 et 1975 … Hormis l’une d’elles, “N’y a-t-il aucun autre endroit où nous puissions nous rencontrer ?”, parue dans ‘Le Monde diplomatique’ en 1991, elles sont toutes inédites en France et nous entraînent, des bords de la rivière Zaïre aux jardinets apaisants de Johannesburg, dans un monde où tout semble amplifié, le moindre son, le plus petit mouvement de l’âme. C’est que Nadine Gordimer est imbattable pour rendre, d’un mot, un détail infime. Dès les premières lignes, l’air gris est presque palpable. Pour un peu, on entendrait les personnages avaler leur salive… Il en résulte des histoires d’une force et d’une concision, un art de “voir” et de “faire voir” qui forcent l’admiration.