L’Amour, soudain

À soixante-dix ans, Ernest Blumenfeld travaille sur un nouveau manuscrit et se penche pour l’occasion sur son passé, revisitant une existence politique profondément inscrite dans l’Histoire du vingtième siècle. Après une adolescence fortement impliquée dans les Jeunesses communistes de sa ville natale de Czernowitz, au sein desquelles il participe activement à de nombreuses actions antijuives (« sa fidélité au Parti et l’hostilité qu’il portait aux membres de sa tribu étaient intimement mêlées »), il s’implique de manière plus approfondie dans le Parti, est nommé commissaire aux affaires juives dans sa région, intègre l’Armée rouge et est envoyé au front. Après sa démobilisation, il s’enfuit en Italie, d’où il compte partir pour l’Australie, et embarque à Naples sur un bateau qui l’emmène en Israël. Rassemblant ses souvenirs, Ernest éprouve durement les contradictions de l’Histoire et tente de trouver un sens à sa vie. À ses côtés, témoin de ses luttes et attentive à sa mélancolie, une jeune fille l’assiste dans ses tâches domestiques. Au fil des saisons, toutes les pensées d’Iréna se tournent vers l’écrivain. Une idylle se noue… Considéré à juste titre comme l’un des plus grands écrivains juifs de notre époque, Aharon Appelfeld joue sur la simplicité d’une écriture qui tend vers l’épure et élabore son récit par petites touches impressionnistes, s’attachant aux faits et gestes de la vie quotidienne pour faire jaillir du réel une méditation douloureuse sur un siècle hanté par le totalitarisme. ” Une nuit il rêva qu’Iréna portait l’uniforme de l’armée rouge. Ils étaient ensemble dans une jeep qui fonçait à toute allure. La course s’arrêta soudain, Iréna descendit de la jeep, ôta ses bottes et dévoila un pied parfait. Ernest en fut si ému qu’il s’agenouilla et dit : “Le capitaine Ernest Blumenfeld vous demande l’autorisation d’embrasser la plante de votre pied”, et sans attendre de réponse il inclina la tête et s’exécuta. ” Un écrivain à l’automne de sa vie, une jeune fille dévouée : l’idylle n’est pas nouvelle. D’où vient alors le choc que procure un tel livre ? Au-delà de la banalité apparente, Aharon Appelfeld donne à ce récit une grandeur proprement biblique. Parce que la rencontre d’Ernest et d’Iréna est un événement qui les dépasse, elle devient le révélateur qui permet à chacun d’accéder au sens secret de son existence, devenue enfin déchiffrable. Une vie politique, inscrite dans l’Histoire – celle d’un siècle hanté par le totalitarisme et la destruction de l’identité juive. Et une autre vie, celle que connaissent les ” Juifs célestes ” chers au coeur d’Aharon Appelfeld. Entre le proche et le lointain, l’identification et la distanciation, la vie quotidienne et la métaphysique, Aharon Appelfeld invente une littérature d’une force et d’une singularité inouïes. D’une force et d’une singularité peu communes, l’œuvre de Aharon Appelfeld est à la Uune de la rentrée littéraire avec deux rééditions (Le Temps des prodiges et Tsili, Points Seuil) et la parution de deux inédits (Histoire d’une vie et L’Amour, soudain, Éditions de l’Olivier).