Le Cas Gentile

Gentile est pompier à Turin. Au cours d’une intervention périlleuse, il a sauvé des flammes la Santa Tela – le Saint Suaire -, représentation présumée du corps du Christ. Un an plus tard, il est emmené au commissariat pour avoir détruit à coups de barre de fer des affiches publicitaires abritées sous des panneaux de plexiglas. Quel désastre intime a conduit le héros d’hier à cet acte de violence dérisoire ? Trois personnages tentent de comprendre. Guido, un vieux syndicaliste proche de Gentile, le père Beato, aumônier des sapeurs-pompiers, et Aspasie, une journaliste en quête de témoignages sur le malaise des hommes. En dépit de ses silences et de sa fuite, ils reconstituent le parcours amoureux de Gentile : un mariage raté, quelques liaisons minables et un amour qu’il a lui-même détruit par jalousie. Le prêtre déplore le désarroi d’une société déchristianisée, le syndicaliste une ville arrachée à son identité ouvrière au profit de la marchandise. Aspasie voit peu à peu en lui un homme qu’elle a envie d’aimer et de soustraire à son mystérieux chagrin. Après quelques jours d’errance, il reviendra régénéré par une expérience qu’il ne pourra communiquer. Qui a compris Gentile ? Plusieurs miroirs se tendent. C’est au lecteur d’interpréter le livre. Le cas Gentile demeurera une énigme. L’homme a fracassé des panneaux publicitaires à coups de barre de fer, il a lacéré les affiches. L’homme est un pompier, un pompier héroïque qui sauva une relique des flammes. L’homme est jugé, mis au repos. L’homme est une énigme. On s’interroge, le corps médical, sa hiérarchie, ses proches, mais encore une “magnéto-psycho-thérapeuthe”, un prêtre et une journaliste. On lui veut du bien. L’homme se dégoûte. L’homme se dégoûte depuis longtemps, de plus en plus. Neuvième roman pour François Taillandier et cas littéraire. L’avertissement au lecteur est net : l’action ne se passe pas à Turin, la relique de tissus n’est pas le saint suaire et Gentile n’est pas celui “qui l’arracha aux flammes en 1997”. Sous couvert d’exposer les troubles existentiels d’un homme moderne, Taillandier se livrerait à un périlleux exercice de fiction. La ville dont il est question ici n’est pas une variation littéraire de Turin, mais une épure de cité originale, partie prenante du roman, avec son histoire, sa géographie, ses trattorias. De même Gentile est-il doté d’une épure de famille, de belle-sœur, d’histoire conjugale. Partant les investigations des professionnels des affres de la modernité achoppent. L’auteur ne laisse finalement à personne le droit de percer à jour le cas Gentile. –Bertrand Gosselin