Le Cousin de Fragonard

Un Fragonard peut en cacher en autre. Honoré, né à Grasse, se forme à l’anatomie auprès du dénommé Lemoignon, avant de monter à Paris pour enseigner auprès de Bougrelat, fondateur de l’École vétérinaire de Maisons-Alfort, où il se voue à l’exploration des chairs, des peaux, des dépouilles et conçoit ses fameux écorchés. Attentif aux grandes expérimentations scientifiques caractérisant le basculement du XVIIIe au XIXe siècle, il est un personnage singulier, profondément émouvant, qui traverse une époque effervescente où le monde est défini sous l’éclairage de la raison, et non plus de la religion. Il croise des peintres (Jean-Honoré, son célèbre cousin, ainsi que David), des écrivains (Diderot), des figures pittoresques. Mais aussi l’amour : une jeune fille littéralement foudroyée lors de leur seule et ultime rencontre, et dont le deuil demeure impossible. Ce roman foisonnant et haut en couleur révèle la part d’ombre qui sous-tend les Lumières, muant ainsi le siècle classique en un siècle baroque. On retrouve ici tout l’humour, l’invention verbale, le délire, la puissance visionnaire de l’auteur d’Hémisphère Nord et de La Géométrie des sentiments, deux livres qui, avec Le Cousin de Fragonard, composent une trilogie sur les rapports de la science et de l’art. Dans la famille Fragonard, nous pouvons demander Jean-Honoré, le célèbre peintre. Nous pouvons aussi demander Honoré, son cousin germain, anatomiste né à Grasse qui, une fois monté à Paris à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, ne cessera d’explorer les dépouilles et concevra des écorchés voués à la postérité (visibles aujourd’hui dans le musée Fragonard de l’école vétérinaire)… C’est de ce Fragonard-là dont nous entretient Patrick Roegiers dans un beau roman qui se déploie entre science et passion (ou du moins, entre passion de la science et passion amoureuse, puisque Fragonard sera victime de ces deux malédictions), et qui montre très bien l’ambiguïté du siècle des Lumières… siècle de la Raison, mais aussi siècle ténébreux et foisonnant, romantique et baroque. Ici, le lecteur sera happé par un univers en pleine ébullition intellectuelle. À travers les aventures de l’anatomiste, il croisera de nombreuses élites de l’époque, quelles appartiennent au monde médicale (les anatomistes), de la littérature et de la peinture, et sera littéralement fasciné par un temps hors norme. Un roman plein de fièvre, écorché vif à sa manière.