Le cri du peuple

Jamais le capitaine Tarpagnan n’aurait connu la séduisante Caf’conc’ et les tribulations de l’amour si, ce jour-là, le monde n’était devenu fou. Ce jour-là, le 18 mars 1871, en effet le gouvernement de Monsieur Tiers eut la scandaleuse idée de désarmer la Garde nationale. Mais ce ne sont pas quelques milliers de lignards, lancés en pleine nuit à l’assaut de la Butte Montmartre, de celle de Ménilmontant et d’autres lieux encore, qui allaient venir à bout de la colère des Parisiens et reprendre leurs canons Non, ce jour-là, tout simplement, Antoine Joseph Tarpagnan entendit le “Cri du peuple” mais, tout autant, sa résolution et sa joie de vivre. Alors, avec ses hommes du 88e de ligne, il déserta pour suivre l’amour, la fête, la fraternité et trouver le destin, au bout des barricades. Avec le talent qu’on lui connaît, Jean Vautrin nous embarque dans le prodigieux Paris de la Commune. Il nous fait circuler dans un Paris mystérieux comme celui de Victor Hugo, social comme celui d’Eugène Sue, familier comme celui de Léo Malet et grouillant comme le Londres de Charles Dickens. Dans le grand élan de son roman d’aventures, le lecteur entendra parler le pantruchois en chantant “Mon petit Riquiqui” ou “Fatma la danseuse”. Il côtoiera les biffins de la route de la Révolte, les apaches du canal de l’Ourcq mais aussi les banquiers, les restaurateurs ou les grands acteurs(trices) de l’Internationale ouvrière. La grande Histoire cède la place aux personnages. Qu’importe ! Horace Grondin, le commissaire Mespluchet, Fil de Fer, Caracole, Edmond Trocard, Tarpagnan et Caf’Conc’ rencontrent Louise Michel, Courbet, Vallès et Vingtras ! Il est revenu, le temps des cerises… 1871. Horace Grondin cherche à venger sa pupille assassinée et poursuit celui qu’il croit être son meurtrier. Pourtant Tarpagnan, proche comme son nom l’indique du héros de cape et d’épée, semble beaucoup trop sentimental et idéaliste pour avoir ainsi lâchement tué une jeune fille… Par ailleurs, amoureux fou de la maîtresse du chef de la pègre, il risque tout pour elle. Fresque historique qui donne à l’histoire des visages humains, ce roman digne des meilleurs feuilletons du 19e siècle – il a été comparé à un Dumas ou un Hugo – raconte la Commune par le biais de personnages colorés et fascinants. Un peuple prêt à mourir pour ses idées est rendu presque palpable par des descriptions vivantes et par une langue ” de chair “, adaptée aux personnages et à l’époque. Avec la verve qu’on lui connaît, Vautrin (Goncourt 1989 pour Un grand pas vers le bon Dieu, Prix populiste 1994 pour Symphonie grabuge) illustre avec passion un très bel épisode de l’histoire de Paris. La bibliographie en fin de roman témoigne d’ailleurs du souci du romancier de bien connaître son sujet ; à la fois roman historique, roman d’amour et polar, Le cri du peuple, qui doit son titre au journal de Jules Vallès, tiendra le lecteur en haleine entre autres par ses rebondissements, l’émotion qu’il dégage et ses personnages touchants. “Le Cri du peuple” n’est pas, malgré les apparences, un roman historique sur les soixante-douze jours de la commune de Paris, mais la réactualisation romanesque de la plus impitoyable des guerres, celle des riches contre les pauvres qui connut, en ce printemps de 1871, sa plus impitoyable, et donc sa plus pure représentation. La haine à l’état cristallin.