Le Portique

On aurait pu croire l’auteur de La Première Gorgée de bière désaltéré, repu, comblé par le bonheur. Son personnage, un professeur de lettres entre deux âges (toute ressemblance avec l’écrivain serait fortuite !) connaît pourtant la faille, la fêlure. De celles qui rendent soudain difficile le moindre petit rien du quotidien : “Faire la queue chez le boulanger, attendre au guichet de la Poste, échanger quelques phrases debout sur le trottoir.” Alors il suffit qu’un inspecteur de l’Éducation nationale visite la classe de Sébastien pour que s’éveillent en lui ses peurs, mais aussi ses désirs les plus profonds et le goût de les défendre à nouveau. Sans se départir de son amour profond de la vie ni de son humour, Philippe Delerm sait aussi dire la brûlure de vivre, quand l’adhésion et le sens nous fuient. Philippe Delerm est l’homme des saisons et du temps qu’il fait, comme en témoignent ses titres : La Cinquième Saison, Un été pour mémoire, Autumn (prix Alain-Fournier, 1990), Il avait plu tout le dimanche… C’est sur nos tempêtes intérieures, nos dépressions, nos “gros temps” qu’il se penche (s’épanche ?) ici… avec la douceur et le réconfort qu’on lui connaît. –Laure Anciel Le Portique est un moment dans la vie de Sébastien Sénécal. Professeur de lettres entre deux âges dans une petite ville de province, il se sent soudain assailli par un malaise indéfini. Son mal-être est diffus, sans cause apparente. C’est le printemps et il est au bord de la dépression. Un remède s’impose progressivement à lui, construire au fond du jardin un portique, aux résonances stoïciennes, sur lequel pousseront des plantes grimpantes aux fleurs colorées. La mélancolie du professeur de lettres est atténuée par les simples gestes du quotidien auxquels il prend toujours beaucoup de plaisir: les tartines du matin, l’odeur du dentifrice, le rire de sa fille, une conversation avec le pépiniériste. Des références littéraires se bousculent dans sa tête, Proust, Colette, Giono, viennent le sortir de sa morosité, petit à petit. Philippe Delerm esquisse avec humour et justesse les doutes et les failles de la maturité. Tout ce qu’on a aimé chez Delerm, le sentiment de la brièveté des choses, les bonheurs du jour, la fêlure, comme disait Fitzgerald, les mots simples, nus, pour exposer l’essentiel de la vie, se retrouve ici, concentré avec justesse. L’histoire ? Un professeur, qui ressemble à l’auteur, éprouve non simplement un malaise, mais une succession de vertiges. Il tremble devant ses élèves, éprouve une indicible fatigue … Comment le dire? Voilà un livre sur le malaise d’être, sur une crise intime, où l’on se sent convié en ami, comme en complice. Le portique se fait puis se défait, les jours succèdent aux jours. Et l’écriture, si simple d’apparence, si déliée, en évoque la magie avec doigté. Comment le dire encore ? Sitôt la dernière page achevée, on reprend le début, comme un vieux pardessus que l’on aime endosser à l’approche de l’automne … Un roman bref qui aide à vivre, dont la lecture réchauffe le coeur. ” Ça peut venir n’importe quand. On se croit fort, serein dans sa tête et dans son corps, et puis voilà. Un vertige, un malaise sourd, et tout de suite on sent que ça ne passera pas comme ça. Tout devient difficile. Faire la queue chez le boulanger, attendre au guichet de la Poste, échanger quelques phrases debout sur le trottoir. Des moments creux, sans enjeu apparent, mais qui deviennent des montagnes. On se sent vaciller, on croit mourir et c’est idiot. ” Avec ce roman, Philippe Delerm décide de tracer, non sans une certaine distanciation humoristique, le portrait d’un professeur de lettres entre deux âges avec ses fêlures, ses questions, et ses tentatives pour échapper au mal-être qui l’assaille.