Le Rebutant

LA DEDICACE DE L’AUTEUR : J’ai vécu un an “en résidence” au rythme de deux journées par semaine dans une association, Midi-Partage, qui donne gratuitement à manger toute l’année à des personnes défavorisées dans le Nord de la France. La plupart des hommes et des femmes que j’ai rencontrés ne sachant ni lire ni écrire, j’ai organisé un atelier de parole dans un bistrot devant une bière et mon petit magnétophone… Les confidences que j’ai recueillies m’ont bouleversé. “Le rebutant”, celui qui rebute, c’est-à-dire celui qui parfois nous fait changer de trottoir en détournant la tête, à cause de sa violence, de sa crasse et de son comportement extrême, est toujours porteur d’une mémoire, d’une enfance comme la nôtre avec, un jour, une blessure insupportable qui l’oblige à fuir, à prendre la route pour survivre. “Le rebutant” est un être plongé entre le ciel et les poubelles dans une sorte de coma social dont on n’est jamais certain qu’il réchappe jamais. L’écouter, lui parler, raconter son histoire, comme on le ferait pour un être proche, m’a fait toucher du doigt ma peur de tout perdre, la fragilité du confort et du bonheur. J’ai encore dans les oreilles le merci qu’ils me chuchotaient à la fin des entretiens. Et dans ma tête, la honte devant mon sentiment d’inutilité. (Dominique Sampiero) Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu’une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle. L’un et l’autre : l’auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d’un autre et l’autoportrait, où placer la frontière ? Les uns et les autres : aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieure, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus. «Depuis sa naissance, il est malade des nerfs. Le rebutant fait des crises.Il est allé dans trop de centres. Ça lui a porté malheur. Il a des problèmes avec les flics, avec la justice. On l’a bourré de médicaments. Ça lui a porté malheur.Des amis il en a pas. Il leur a prêté de l’argent. Ils ne lui ont jamais rendu.À force de se boucher les oreilles, il n’entend plus les conversations.»Dominique Sampiero. Le rebutant, c’est qui ? Celui qui est au rebut et qui rebute. Le déchu, le SDF, le clochard. A cet humain-là, Dominique Sampiero restitue une mémoire.