Le tour de Jules Verne en 80 livres

Le monde dans lequel mes parents s’avisèrent de me mettre, le 6 août 1931, n’était plus celui des ” années folles “, déjà dépassées, ni celui de la crise de Wall Street – nous étions déjà ruinés depuis longtemps -, mais un monde révolu depuis la chute de l’Empire, le second, bien sûr ! Ses dernières images, affaiblies, presque effacées, furent les premières que je feuilletai en apprenant à lire dans Le Magasin pittoresque ou le Journal d’Education et de Récréation de M. Hetzel. Les fées qui se penchèrent sur mon berceau avaient été jeunes et belles sous l’Empire ; c’est dire assez qu’elles ne l’étaient plus. Leur grand âge donnait à leurs souvenirs le charme qu’elles avaient perdu. L’une avait fait le tour du monde peu d’années avant Phileas Fogg, l’autre avait voyagé en Orient et connu mille aventures à une époque où les dames, même un peu dévergondées, restaient chez elles. A côté de ces fées, il y avait des magiciens qui racontaient leur jeunesse au Canada, vers 1880, ou leur découverte d’Angkor, au début du siècle. Lorsque toutes ces personnes étaient lasses d’égrener leurs souvenirs, elles se débarrassaient de moi en me donnant des livres de Jules Verne où je retrouvais l’atmosphère de leurs récits. En dépit de mon admiration pour cet auteur de génie, dont l’œuvre m’apparaissait un peu comme une immense encyclopédie, mes études furent loin d’être aussi brillantes que mes parents, dans leur naïve ambition, le souhaitaient. Je décidai de faire mon droit où j’espérais trouver des loisirs. Des loisirs à la littérature, il n’y a qu’un pas, franchi avec allégresse, et qui, à travers l’Histoire ou la fantaisie, m’a ramené à l’enchanteur de mon enfance, à ce Jules Verne plus actuel que jamais, mais en qui j’ai préféré voir un poète du XIXe siècle plutôt qu’un visionnaire dont les anticipations ne laissent plus de place au rêve maintenant qu’elles sont devenues une réalité. C’est ce que j’ai essayé de montrer dans ce Tour de Jules Verne. Jules Verne a écrit plus de cent volumes, plus des nouvelles, des articles. Cette ouvre immense, comparable par son ampleur à celle de Victor Hugo, est très inégale. On connaît les fameux romans des Voyages extraordinaires, l’Ile mystérieuse, 20 000 lieues sous les mers, Cinq semaines en ballon . Mais un grand nombre d’autres titres sont des redites des célèbres récits, ou manquent cruellement d’inspiration. Ghislain de Diesbach a relu intégralement l’ouvre de Jules Verne, ainsi que les biographies qui lui sont consacrées, avant d’en induire une analyse transversale et thématique du monde vernien : les serviteurs, les aristocrates, les sciences, les femmes, l’argent . Il montre à quel point Jules Verne a été un homme de son temps, et son ouvre un miroir du XIXe siècle. Il évoque aussi le monde intime du romancier, celui de ses sentiments devinés d’après ceux qu’il prête aux personnages. En lisant cet essai riche et brillant, on retrouve d’un coup un univers qui nous fut, pour la plupart d’entre nous, si familier naguère, mais dont on ignorait -ce que G. de Diesbach démontre ici- bien des aspects.