Le voyage qui ne finit jamais

Soudain, je le vois. La caméra, qui s’est d’abord attardée sur le visage du Président, glisse maintenant sur les membres de son entourage qu’elle nous présente en gros plan. Ils remplissent tour à tour l’écran de la télévision, tous en uniforme à épaulettes dorées… je bondis de mon siège, on dirait que je suis catapulté en avant… Le revoilà, c’est lui, je reconnais la mâchoire carrée, les narines épatées, le cou épais, le teint mat, les pommettes saillantes… Ce visage que Guillermo Torrealba découvre en regardant le journal du soir, c’est celui de l’homme qui, quinze ans auparavant, a sous ses yeux violé et tué sa jeune femme et qu’on n’a jamais identifié. Désormais il va tout tenter pour le retrouver et assouvir sa soif de vengeance. Dans un Venezuela où règne la corruption à divers échelons du pouvoir se déroule un polar politique où le suspense ne faiblit jamais, jusqu’au coup de théâtre final. Né en Espagne, José Miguel Roig vit à Caracas. Écrivant tantôt en anglais, tantôt en espagnol, il est l’auteur de Souviens-toi, Schopenhauer et du Rendez-vous de Berlin, romans parus au Mercure de France. Extrait du livre : Ce soir, rien ne permet de penser que tout va être différent. Je suis installé dans mon fauteuil habituel, sans prêter plus d’attention que de coutume aux images qui défilent et j’attends Ana. Voici d’abord le principal titre du jour : plusieurs personnes sont mortes au cours d’un affrontement avec les forces de police. Semaine après semaine, le même scénario se répète : il y a quatre, cinq, huit tués, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Aucun de nos gouvernants, plus immoraux les uns que les autres, ne semble s’en soucier. S’agit-il de voyous, d’adversaires politiques ? Qu’importe. Moi non plus, je n’en suis guère affecté. Sauf en ce qui concerne mes proches, la souffrance des autres ne me touche plus. Il y a longtemps que j’ai perdu la capacité de m’émouvoir. Soudain mon oeil est attiré par une silhouette, à peine entrevue, une parmi toutes les autres. Je bondis de mon siège, on dirait que je suis catapulté en avant. Non, je ne peux pas le croire. Mais si, le revoilà. C’est bien lui, en uniforme, derrière le Président, à trois sièges sur sa gauche. Non, sa droite. Je reste pétrifié, sans voix, et j’attends que la caméra revienne sur lui, ce qui ne tarde pas. C’est lui, en gros plan, pour quelques secondes à peine. Je suis sûr de ne pas me tromper. Naturellement, il a vieilli. Mais je reconnais la mâchoire carrée, comme taillée au ciseau, les narines épatées, le cou épais, le teint mat, les pommettes saillantes, la peau un peu grêlée, comme passée au papier de verre. Les cheveux, de même, toujours aussi noirs, les yeux en amande, noirs également. Il est le seul de son groupe à fixer directement la caméra, le regard assuré, plein de défi.