Marge brute

Laurent Quintreau a été l’un des membres fondateurs de feu la revue Perpendiculaire, qui fut il y a une dizaine d’années un haut lieu de réflexion artistique et de critique du néo-libéralisme. Dans ce premier roman bref et très violent, l’auteur, par ailleurs artiste, salarié en entreprise et syndicaliste, nous propose une démolition en règle du monde du business et des dégâts mentaux que celui-ci est capable d’engendrer sur le personnel, fût-il de très haut niveau…. Le cadre de l’histoire : l’état-major d’une multinationale présidée par le monstrueux et délétère Rorty, autour duquel onze voix de cadres vont se manifester lors d’un comité de direction pour le moins spectaculaire. Ce qu’elles ont à dire, ces voix maudites ? Elles ont surtout à témoigner, tout au long d’une construction littéraire inspirée de la Divine Comédie de Dante (neuf cercles infernaux avant le Purgatoire et le Paradis), d’une profonde aliénation, d’une tragique errance autour de motifs non moins tragiques et dérisoires : l’accumulation illimitée de l’argent et la douloureuse question du partage des richesses produites, la réorganisation interne des services à des fins de rationalisation économique et donc le problème du licenciement. Mais bien vite à ces motifs se mêlent d’autres obsessions, plus personnelles, plus autobiographiques, séquelles de l’économisme radical sur les vies affectives et morales de chacun… Onze voix, onze personnages, onze fonctions, onze folies, à la croisée de la vie de famille, du cynisme, de la frustration et du vide. Et si l’enfer n’était plus dans l’au-delà mais dans l’état-major d’une multinationale ? Onze cadres prennent la parole autour d’une table lors d’un sacro-saint comité de direction. Onze voix composent ce roman à la manière des cercles de l’Enfer de Dante. Il y est question de dividendes, de restructuration et de licenciements. Mais aussi de l’intimité la plus triviale, des désirs les plus inavouables. Entre le quotidien minuté de la cadre mère de famille et l’hyper-violence autodestructrice de l’ex-chef d’entreprise, entre le cynisme dépravé du jeune branché et le désespoir glacé de la directrice du personnel, entre la perversion froide de la femme de pouvoir et les fantasmes libidineux du bellâtre bureaucrate, un seul point commun : chacun, du fond de sa frustration et même de sa folie, est en guerre contre tous les autres. Au centre de cette Divine Comédie, tel une sorte de Lucifer boursier, trône Rorty, le président, “nettoyeur aux mains propres, serial-killer au regard d’azur”. Marge brute est une charge hilarante et cruelle contre la jungle du business et ses névroses. Une décapante satire du monde de l’entreprise construite sur le principe infernal de la Divine Comédie…