Molly à vélo

Quand on se nomme Molly Savard, qu’on est née à Saint-Péravy-la-Colombe, qu’on porte le même prénom que sa tante morte très jeune après avoir mangé des champignons ramassés avec l’école, que tout l’avenir qu’on imagine pour vous c’est un BEP vente-action marchande, que votre père a une fâcheuse tendance à vous comparer à la plus jeune fille du Général de Gaulle… il faut trouver le moyen de partir, sans pour autant couper tout à fait les ponts. C’est à vélo que Molly prendra son envol, par le plus grand hasard. Mais ne dit-on pas qu’il fait particulièrement bien les choses ? Comédienne et metteur en scène, Geneviève Damas s’est mise assez récemment à l’écriture dramatique et a signé en 2004 cette première pièce éditée, drôle, tendre et émouvante, qui lui a valu plusieurs récompenses : Coup de coeur des Lycéens de Loire-Atlantique, Prix du théâtre (meilleur texte) en Belgique, finaliste du Prix Sony Labou Tansi des Lycéens, etc. Extrait du livre : Molly. En vrai, c’est Marie-Odile. Odile, c’était le nom de la plus jeune soeur de M’man qui est morte en 1956 après avoir mangé les champignons qu’ils avaient été chercher dans la forêt avec l’école. Dans d’atroces souffrances, à ce que Même raconte. M’man, elle, ne s’en est jamais remise. Alors elle m’a appelée Odile, avec Marie en plus à cause de la Vierge. Dans notre famille, ça prie la Vierge et sainte Rita. Seulement, sait-on jamais que le coup des champignons récidive, P’pa a voulu qu’on me nomme Molly. “On en connaît des lignées de maudits rien qu’à porter le même prénom”, qu’il a dit. “De Louis XVI à Louis XVIII, ça ne leur a pas porté bonheur ; pareil pour les papes : Pie I à Pie X, pas un qui a survécu ! Marie-Odile, ça ne dit rien qui vaille, ça sera Molly.” Je trouve ça joli, Molly. C’est plus drôle que Mélo et plus court que Mélodie. Et puis ça ne court pas les rues. Comme moi. Parce que moi, vrai, je cours les rues. Pour aller partout où je dois aller. Et pas mal vite ! Même que mon job à moi, c’est cyclowoman professionnelle. Un boulot qui demande du temps, de l’endurance et du tempérament. “Beaucoup d’appelés et peu d’élus”, qu’il dit M’sieur Péteaux. M’sieur Péteaux, c’est le propriétaire du club de sport de l’autre côté du chemin de fer, où j’ai été barmaid. L’en sait quelque chose, M’sieur Péteaux. Il a fait le Tour de France en 1967, l’année après Lucien Aimar. L’a même été classé, soixante-treizième : pas mal pour un début. Seulement, il n’a pas pu continuer, rapport à ses orteils du pied gauche qui ont été sectionnés quand il tondait son gazon. Et sans orteils, pas d’équilibre sur les pédales dans les grandes côtes. Il a beaucoup souffert, M’sieur Péteaux : “Si tu savais, Molly, quand j’étais sur mon lit de douleur, ce que j’ai enduré. L’Algérie, à côté de ça, Molly, c’était rien !”