Serpents Et Piercings

Une langue fendue en deux comme celle d’un serpent… Quand Ama a ouvert la bouche, Lui s’est sentie parcourue d’un frisson comme elle n’en avait jamais éprouvé. En tombant amoureuse de ce jeune punk la jeune fille va découvrir un monde obscur entre violence et désir. Mais l’automutilation est un voyage sans retour. Piercings, tatouages, sexe et pulsions morbides, Lui va peu à peu perdre tous ses repères au contact de la faune trouble des bas-fonds de Tokyo… Icône de la culture pop japonaise, Hitomi Kanehara dresse le portrait d’une jeunesse à la dérive, en quête d’une étincelle de vie. Quels qu’en soient les moyens, quel qu’en soit le prix… «Entre pulsion de mort et jouissance sexuelle, une inavouable communauté des corps se dessine. Portrait d’une jeunesse underground, libérée de l’Enfer, mais aussi exilée du paradis». Juliette Cerf, Le Magazine littéraire Extrait du livre : Quand Ama est sorti de la salle de bains, il s’est assis près de moi et il m’a regardée comme s’il essayait de lire dans mes pensées. Mais comme j’étais lessivée, je suis simplement restée assise sans rien dire. Alors, au bout d’un certain temps, je l’ai entendu prononcer le mot «pardon» d’une voix qui n’était qu’un murmure. «C’est juste que j’arrive pas à me contrôler, dit-il. Pourtant je crois que j’ai bon caractère, mais quand je franchis une limite alors il faut que j’aille jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’il soit mort, tu comprends.» Je me suis demandé s’il avait déjà tué, avant ce soir. «Ama, tu es adulte. Je veux dire, vis-à-vis de la loi. Si tu tues quelqu’un, tu iras en prison. – Non, en fait je suis mineur», rétorqua-t-il en me regardant droit dans les yeux. Je me suis sentie perdre patience et je crois que ça s’est vu sur mon visage. «Si, c’est vrai ! s’écria-t-il. – Tu m’as dit que tu avais vingt-quatre ans ! – Oui, mais seulement parce que je croyais que c’était ton âge. Je voulais pas que tu me prennes pour un gamin. Tu m’en veux pas, j’espère ? – Si je t’en veux ? Mais moi non plus j’ai pas vingt-quatre ans, espèce d’idiot. Je suis toujours mineure. – Tu rigoles ? fit Ama en écarquillant les yeux. Tu es sérieuse ? Alors c’est parfait.» Il a souri d’une oreille à l’autre avant de me serrer dans ses bras. «Non, c’est pas parfait, protestai-je. Ça veut seulement dire que tous les deux on a l’air vieux pour notre âge», fis-je en le repoussant et en comprenant soudain que nous nous connaissions à peine. Chacun ignorait l’éducation et le passé de l’autre. Chacun ignorait l’âge de l’autre. Chacun ignorait tout de l’autre. Ce n’était même pas que nous évitions d’aborder ces sujets. Tout simplement, ils ne venaient jamais sur le tapis. Même à cet instant