Shanghai Skipper

Dans les veines de Skipper, marin déjanté reconverti veilleur de nuit, c’est l’Orénoque qui coule à flots sur un tempo tumultueux… Pour Arnaud Lebras, PDG ripoux en rupture de ban, les rêves prennent la forme d’un matelas de dollars. Marie-Lotte, elle, sa revanche serait de claquer sa fortune dans des palaces exotiques… Robert l’avorton, lui, se verrait bien calife à la place du calife. Quant à Betty, Pogna et les autres, seules la connerie et la rage animent ces allumés en perdition… Ainsi va le monde, absurde et tourmenté sauf que… Sauf que parfois, quand la furia s’en mêle, la vie prend alors des allures shakespeariennes ! On ne présente plus TITO TOPIN… Son commissaire Navarro a fait le tour de la planète. Et comme un héros ne reste jamais seul, Tito a écrit d’autres romans noirs, d’autres scénarios d’action, autant de comédies de moeurs échevelées menées tambour battant. Shanghai Skipper, incarné à l’écran par Claude Nougaro est son premier roman. Extrait du livre : Armand Lebras abaissa une lame du store vénitien et jeta un regard sur les bâtiments gris qui encadraient sur trois côtés la cour intérieure de son usine, le quatrième côté étant le Rhône qu’on devinait à peine derrière le rideau bruissant des peupliers d’Italie. Combien de temps ? se demanda-t-il en glissant un rond de fumée entre deux lames du store. Voyons… Les travaux s’étaient terminé un mois avant le Grand Bordel, il s’en souvenait parfaitement. Avril 1968. Le mois suivant son ouverture, la grève générale et l’usine occupée par-dessus le marché. Son usine ! Fumiers, va. Combien de temps ? Un rapide calcul lui donna dix-sept ans. Bon Dieu, dix-sept années à dix, douze heures par jour, sans compter les dimanches, les fériés, les nuits blanches et cette gastrite qui ne le lâchait plus. Lebras SARL. Mécanique de précision. Moi disparu, il n’en restera rien, se dit-il avec un sentiment curieusement partagé entre la tristesse et la satisfaction. Il n’en restera rien. Un ressort cassé. Sous le bâtiment principal, la porte coulissante de l’atelier de soudure était ouverte à fond. Quelques ouvriers en sortaient encore, l’air de ne pas se presser. Tu parles ! Sacrement pressés. les fumiers ! Des syndiqués pourris jusqu’à l’os avec la complicité des gouvernements de tous bords, les voilà, ses ouvriers ! Fumiers, va. Quand le dernier groupe eut dégagé l’entrée de l’atelier, il put apercevoir les courtes jambes de Falissard qui émergeaient de sa Range-Rover. Le reste du corps était penché à l’intérieur, à la place qu’aurait dû occuper le siège du conducteur, déposé sur le toit du véhicule. Qu’est-ce qu’il foutait, bordel de Dieu ! Ce type-là mettait des années-lumière à faire n’importe quoi. Tous des fainéants, les empaffés. Mais qu’il se grouille, nom de Dieu ! Il vit soudain la voiture de Sammarcelli pointer sa calandre à l’entrée de l’usine et il consulta sa montre par réflexe. Six heures onze. Précis, comme d’habitude, cette vieille crapule de Sammarcelli. À six heures et quart il sera là, dans ce bureau, exactement comme convenu. Des quartz dans la cervelle, ce type. Il laissa retomber le store et se retourna.