True Crime : L’ombre de Harry Starks

L’Angleterre des années Blair : l’héritage amer des années Thatcher, les rave-parties, l’ecstasy, l’homophobie toujours présente… Ce décor sert de toile de fond à un récit à trois voix, celles de personnages dont le gangster Harry Starks a marqué la vie : Julie, devenue actrice pour fuir le passé criminel de son père ; Tony, journaliste psychopathe de la presse à scandale, contraint de servir de «nègre» à un braqueur encombrant ; et Gaz, petit voyou manipulé qui va effectuer une étonnante sortie par le haut grâce à la fascination qu’exerce la violence sur notre société. Dans un récit d’une efficacité impeccable, Jake Arnott décrit un monde où la perte de repères pousse à la surenchère une société capable d’élever au rang d’icônes gangsters et acteurs de second ordre. Jake Arnott est né à Londres en 1961. Crime Unlimited, le premier roman de sa trilogie, a rencontré un immense succès et a fait l’objet d’une adaptation télévisée pour la BBC en 2004. Crime Song et True Crime en sont les deux volets suivants. Extrait du livre : Le problème, c’était Eddie. Il avait des idées bien à lui, et à profusion, de surcroît ! Il était resté bien trop longtemps en taule où on l’avait gavé de foutaises grâce à un programme éducatif à la mords-moi le noeud dispensé par une administration pénitentiaire qui donnait dans le libéralisme. Son niveau d’éducation est bien trop élevé et il est malheureusement parfaitement conscient du fait de ne pas être l’auteur de ses propres mémoires. Il n’est pas heureux de devoir en passer par tout ce cirque, contrairement à la plupart des gangsters à qui j’ai eu affaire dans ce business, qui sont ravis de vous laisser vous appuyer tout le boulot. Ils se contentent de déballer leurs salades devant le magnéto et à vous de vous débrouiller. Quand le bouquin paraît, ils sont tellement ravis de voir leur nom sur la couverture agrémentée d’une photo où ils arborent comme il se doit un air menaçant, qu’ils s’imaginent l’avoir écrit. Un bon nègre n’est pas censé les détromper : cela doit rester leur livre. Il doit savoir se contenter de partager les droits d’auteur pour que tout le monde y trouve son compte. Ils ne commencent à se poser des questions au sujet du fric que quand l’affaire est déjà emballée et ils ne se rendent compte qu’ils se sont fait avoir qu’une fois la partie jouée. Ils s’imaginent que le monde de ‘édition est régi par des gentlemen et quand ils comprennent qu’ils ont affaire à l’une des formes les plus odieuses du crime organisé, du mensonge organisé, il est beaucoup trop tard. Mais même sur ce point-là, Eddie m’interroge : – Alors, et cette avance ? – Qu’est-ce qu’il y a ? – J’en ai à peine vu la couleur. – Je vous ai déjà dit… – Vous m’avez annoncé vingt mille, je n’ai vu que deux mille cinq cents billets. – Je vous ai dit que vous ne toucheriez pas tout d’un seul coup : un quart à la signature, un quart à la réception du manuscrit, un quart lors de la publication en volume relié et un quart lors du tirage en poche. Litanie familière des singularités de ce racket. – Bon sang ! fulmine Eddie. Je croyais m’être déjà fait baiser par des gangsters, mais alors là ! Un quart à la signature, ça fait cinq mille, pas deux mille cinq… – Mais je vous l’ai dit : on partage fifty-fifty. – Seigneur ! Vous êtes vraiment très forts dans le genre escrocs…