Une maison au bord du monde

J’ai passé le portail bleu de la Maison pour la première fois en novembre 2000. L’établissement accueille des malades en fin de vie – malades du sida principalement, mais aussi du cancer, victimes de la sclérose latérale amyotrophique, de la maladie de Creutzfeldt-Jakob… Sept mois de rencontres avec l’équipe soignante, les bénévoles, les familles, les malades m’ont amené littéralement ” au bord du monde ” : la terre est ronde, avons-nous appris, mais à l’heure de quitter la vie elle redevient, pour chacun de nous, ce disque plat imaginé par les Anciens et aux limites duquel nous nous tenons, le cœur assombri, le corps épuisé, l’âme inquiète. J’ai simplement tenté de rendre témoignage de ce que j’avais vu : la délicatesse des gestes et la qualité de l’attention, la violence du temps qui passe trop vite, la solitude de la nuit, l’éclat de rire d’un moment, les mots hachés, les cris parfois, un regard qui se pose et où tout se suspend, le souffle qui s’en va… Une maison au bord du monde raconte des histoires. Elles parlent de la mort et elles évoquent le fracas de ce qui fut souvent si douloureux, et dont l’amertume ne cesse jamais ; j’espère qu’elles parlent aussi de ce qu’il y a de digne et de présent, d’irremplaçable, dans la vie de tout être jusqu’à son dernier souffle. Chacune de ces histoires, à sa façon, est une histoire d’amour. A. A. LA DEDICACE DE L’AUTEUR : Bienvenue. Il me semble n’avoir jamais pu écrire qu’en sortant de la solitude. La nuit, quand la lumière brille dans mon bureau transformé en cabine de navire au long cours, j’imagine un visage tapi dans l’ombre et vers qui je tourne parfois les yeux. Cette présence invisible m’aide et m’accompagne. Bien plus tard, lorsque le livre est achevé, j’en reçois des émotions à travers des lettres, des voix, des gestes, de simples regards… C’est alors que ce visage se dessine enfin dans la lumière ; j’ai le sentiment d’une reconnaissance. Ce livre sur la Maison de Gardanne, je l’ai écrit avec les gens de Gardanne, soignants, résidants, familles – de leur coeur à ma main, de leurs gestes à ma plume. Non, vraiment, on n’écrit pas seul, comme on ne vit pas seul. De même que nous devenons humains dans notre rencontre avec le visage de l’autre, nos mots ne s’animent, ne prennent vie et sens, que sous les yeux de l’autre – et alors bonjour mon amie, mon frère, bonjour étranger silencieux. La porte de la maison était ouverte mais il fallait que tu y entres pour qu’elle devienne la maison. (Antoine Audouard)