Face aux masses

Enfant du Flower Power, et donc de pères potentiels et d’une mère un peu vague, le jeune jonquille quitte le totalitarisme libertaire d’une communauté en voie de péremption pour se plonger, en stagiaire impavide, dans la cellule dysfonctionnellement familiale d’une agence de communication tenue par un curieux couple frère/soeur, aux premières loges d’une société régie par les ésotérismes de notre nouveau siècle balbutiant : marketing et intégrisme. Et tandis qu’il apprend le langage et les codes d’une réalité de plus en plus exclusivement publicitaire, s’étendent, galopantes et tentaculaires, l’influence et la séduction d’une mystérieuse secte suicidaire. Dans ce texte drôle et sans pitié, d’une extrême tenue et d’une acuité glaçante, la tendresse ironique et l’impertinence joueuse propres aux romans d’Ilan Duran Cohen atteignent une férocité d’une ampleur nouvelle. Ultramoderne Petit Prince de la planète Capitalisme, tout entier préoccupé de son cas personnel, jonquille se retrouve pourtant progressivement le garant et l’enjeu de conflits universels, où sont cristallisés les dérives, les vertiges et le désarroi d’un monde désespérément “tendance”, perpétuellement neuf et perpétuellement obsolète, oscillant sur son axe entre libéralisme et sectarisme, entre utopie consommatrice et terrorisme. Un monde à la poursuite de la perfection obligatoire, en quête extravertie de son impossible innocence. Dans un monde oscillant entre règne du libéralisme effréné et menace terroriste universelle, Jonquille, enfant du flower power, stagiaire impavide idéal, entre dans une agence marketing tenue par un frère et une soeur. Entre l’implacable efficacité de l’une et l’ineffable génie visionnaire de l’autre, entre leurs deux dérives, Jonquille devient insensiblement le garant improbable de l’équilibre de l’Agence mais aussi, peut-être, de l’équilibre du monde.