La Conférence de Cintegabelle

À Cintegabelle, un conférencier rend hommage à l’art de la conversation, tombé en désuétude. Personnage complexe, jeune et veuf, à la fois généreux et égoïste, juste et absurde, mu par un idéal inaccessible, il articule son discours autour de trois parties : les intérêts de la conversation (réussir et séduire) d’une part, ses conditions favorables (la concision, la clarté, la politesse…) d’autre part, et conclut enfin par quelques exemples de conversation (politique, littéraire, amoureuse…). Sans virer au didactisme ni sombrer dans les bons sentiments, il réussit un démontage en règle de la société qui a pris la parole au détriment de ses citoyens, brossant un exact portrait du monde tel qu’il est, tel qu’il va. Long soliloque constitué de phrases fluides et nerveuses, inspiré par la colère, violent à l’occasion, drôle encore, cruel parfois, La Conférence de Cintegabelle passe en revue tous les travers d’une modernité inquiétante. La farce tourne à la dénonciation tous azimuts : la prétention des cocktails, les honoraires des psychiatres parisiens, l’arrogance des intellectuels, l’extrême droite… Pour Lydie Salvayre, il s’agit rien moins que de réinventer la parole, dans un texte résistant aux conformismes ambiants, d’une irrévérence lucide et turbulente. –Céline Darner C’est une conférence dans laquelle un homme rend hommage à l’art de la Conversation, selon lui gravement menacé. Veuf depuis deux mois, le souvenir de sa femme s’immisce dans les lignes d’un discours parfaitement structuré selon un classique exposé en trois parties. Le conférencier, qui est donc aussi le narrateur du texte, propose toute une série d’axiomes (“converser est une spécialité éminemment française” ; “tout homme qui converse place l’autre aussi haut que lui”) qui reflètent un goût démesuré pour les principes de la Conversation et qui mettent en garde contre la disparition de sa pratique. Son deuil détourne constamment le personnage de son sujet ; la femme aimée, Lucienne, fait souvent irruption dans la conférence, mêlant étrangement sa disparition à la mort annoncée de la Conversation. Après La Compagnie des Spectres, Lydie Salvayre nous livre la conférence d’un personnage drôle, risible parfois, grandiloquent et pathétique et mêle dans ce texte bref la fiction à un petit traité de conversation teinté de morale. Un homme, veuf depuis deux mois, propose dans sa conférence de rendre vie à l’Art de la Conversation, selon lui gravement menacé. Qu’il se présente comme un personnage risible autant que pathétique, que son deuil le détourne constamment de son sujet, que son projet soit chimérique et son discours déraisonnable, qu’importe. Ce qui compte, c’est son goût immodéré des principes qui régissent la Conversation et la vigilance qu’il porte aux périls qui compromettent sa pratique. Tour à tour mordant, sarcastique, cocasse, grandiloquent, mégalomane ou tendre, il va prononcer, devant un public médusé, un requiem ponctué d’axiomes où la disparition de son épouse et la mort annoncée de la conversation se mêleront de très étrange manière.