Les extraordinaires aventures de Kavalier et Clay – Prix Pulitzer 2001

Impétueux et bouleversant, le Prix Pulitzer 2001 marque la consécration d’un écrivain en pleine maturité. New York, 1939: Josef, jeune Juif ayant fui Prague occupée par les nazis, et son cousin de Brooklyn, Sammy, unissent leurs talents pour inventer un héros de bande dessinée: l’Artiste de l’évasion. Pourfendeur des forces du mal, spécialiste des évasions, celui-ci combat le nazisme sous toutes ses formes. Il incarne ainsi la tentative désespérée de Joe de libérer sa famille restée à Prague, en même temps qu’une dérisoire volonté de réveiller la conscience des jeunes Américains. Profondément attachants, les deux cousins de génie, si différents et si complices, embrassent ainsi toute une page de l’histoire du monde. Avec un talent rare, Michael Chabon nous emmène d’un univers à l’autre, alliant avec délectation fiction et réalité, romanesque pur et documentaire sur les années 1940-1950, sur la naissance d’un nouvel art qui fit fureur auprès des jeunes générations: les “Comics”. L’héroïsme et l’idée de héros (conspirateurs, soldats, ou justiciers masqués, femmes inébranlables ou hommes modestes… une foule de héros, réels ou en puissance), la transformation (la folle jeunesse se métamorphose en âge adulte, l’élan de la fantaisie transfigure la souffrance, des magiciens enchaînés se changent en hommes libres, l’infortune se mue en aventure), ou encore l’évasion (pour échapper aux atrocités, à l’histoire, à la médiocrité et à la convention, aux étendues gelées de l’Antarctique et à la tragédie de l’Europe hitlérienne, à la prison de l’identité et aux réalités grises de la vie ordinaire)… tels sont certains des thèmes que Chabon a voulu privilégier dans cette fresque époustouflante. Samuel Louis Klayman, dit Sam Clay, a dix-sept ans lorsque l’aventure commence. Elle se présente un soir de la fin du mois d’octobre 1939 sous les traits de son cousin tchèque Josef Kavalier, réfugié fraîchement arrivé à Brooklyn, New York. Kavalier ne jure que par Houdini, Clay ne vit que pour les Comics dont il est devenu un plagiaire entreprenant. Le premier a appris à devenir un magicien spécialiste des évasions et a passé deux années aux Beaux-Arts de Prague, le second a de l’imagination à revendre. Ensemble, ils vont créer l’Artiste de l’évasion, héros justicier s’acharnant à combattre les forces obscures qui sévissent en Europe. Autour d’eux, Brooklyn et ses habituels rêves d’envol, de métamorphose et d’évasion. Une époque où « la bande dessinée américaine, comme les castors et les cafards de la préhistoire, était plus grande et, à son encombrante façon, plus somptueuse que sa descendance moderne ». L’aventure se poursuit, pour les deux cousins, en la personne de Rosa Luxemburg Saks. Roman-fleuve en six parties, extrêmement écrit et très minutieusement documenté, tant sur la ville de New York, ses artistes, ses antifascistes et leurs nombreux compagnons d’exil, que sur l’univers de la bande dessinée américaine, Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay captive de la première à la dernière ligne. Intelligent, truculent, incisif, tendre et plein d’humour, ce « grand » roman s’est vu décerner le prix Pulitzer 2001. Un bonheur de lecture à savourer sans plus tarder. Oui, il y a de la facétie chez Michael Chabon. Comme chez un illusionniste sortant d’un chapeau les lapins blancs que la vie lui réserve. Du reste, le gros pavé qu’il fait apparaître aujourd’hui est tout entier bâti autour d’une forme inattendue du merveilleux. Son superhéros est un rival de Batman et de Superman baptisé l’Artiste de l’évasion. Avec son costume et son masque bleu nuit, la poitrine décorée de l’emblème évocateur de la Clé d’or, ce personnage de bande dessinée inventé aux Etats-Unis par deux cousins, Joe Kavalier et Sam Clay, vole au secours des opprimés, fend les ténèbres hostiles et libère le monde des forces du mal… justement, en ces années 1940, de l’Europe hitlérienne à l’Amérique de Joe DiMaggio, l’Artiste a fort à faire. … Pour nourrir ce roman-fleuve, Michael Chabon a mélangé l’histoire de sa famille – des juifs de Galicie passés par la Russie, la Pologne et l’Autriche -, de vieilles légendes comme celle du Golem, de la fiction pure, comme l’histoire de la famille Kavalier restée à Prague, et le fruit de ses recherches sur l’Amérique des années 1940, avec sa musique de big band, ses fêtes foraines, la bohème de Greenwich Village et les “comics”, bien sûr. Les années 1940, exubérantes et déchirantes, battent leur plein c’est l’époque des big bands, de Greenwich Village, de Joe DiMaggio, des pin up. Et, bien sûr, des Comics. Sammy, dix-neuf ans, rêve de s’imposer dans l’univers des BD, qui font fureur et rapportent des millions. Son cousin Josef a fui Prague occupée par les nazis, laissant derrière lui toute sa famille. Il a deux cordes à son arc : son diplôme des Beaux-Arts et ses années d’apprentissage auprès d’un magicien spécialiste des évasions. Sam et Joe inventent un héros qui dame le pion à Batman et à Superman : l’Artiste de l’évasion. A lui seul, page après page, il anéantit les forces du Mal à l’œuvre outreAtlantique. Comme si, en tuant Hitler et ses complices à coups de crayon, Joe pouvait éloigner la mort de sa famille. Cette fresque romanesque aussi européenne qu’américaine, impétueuse et bouleversante, admirablement documentée, est une de ces lectures dont on sort grandi. Il s’agit, indéniablement, du chef-d’œuvre d’un écrivain en pleine maturité.