L’homme qui ne voulait pas être roi – Conversations avec Jacques Delors

Jacques Delors est aujourd’hui un homme de 90 ans. Il a choisi d’ouvrir ses archives à Cécile Amar afin de fournir aux générations présentes et à venir quelques éléments de réflexion à l’heure où sa grande passion, la construction européenne, est plus malmenée que jamais. Rappelons d’abord que Jacques Delors est un homme de valeurs et de foi, un syndicaliste catholique tard venu à la politique et, surtout, un individu réputé pour son franc-parler. Dans ce livre-confession, il revient sur les années 1984-1994, du choix de la « rigueur » au renoncement à la gloire présidentielle. Quelques thèmes abordés dans cet ouvrage :  Les coulisses du choix de la « rigueur » en 1983.  Ses relations avec François Hollande (qu’il a connu au début des années 1980 et qu’il ne voit plus jamais).  Ses dix années à la Présidence de la Commission européenne (sa méthode, sa vision, l’Acte Unique, Maastricht, sa « honte » sur l’ex Yougoslavie).  L’agonie du syndicalisme et du monde rural.  Les méfaits des politiques à court terme, de l’obsession de se faire réélire : « Quand j’étais à Bruxelles, je gardais une heure et demi par jour pour lire des livres d’histoire, de sociologie et de sciences politiques. Ce qui rendaient fous mes collaborateurs. »  A propos de sa fille, Martine Aubry : « Je suis plus réaliste qu’elle. Mais une personne aussi généreuse que Martine, il n’y en a pas dans notre vie politique. Et ça c’est une chose qu’on oublie souvent quand on fait son portrait. »  La présidentielle : « A mon avis, si je tiens la caractéristique des trois dernières élections présidentielles françaises, qu’est ce qu’ont proposé successivement Chirac, Sarkozy et Hollande ? La rupture. Il n’y a pas un mot plus dangereux que de faire croire au monde que l’on pourra avec une baguette magique faire changer les choses en 5 ans ou en 10 ans. C’est grave. »  Le 11 décembre 1994, à 7 sur 7, il renonce à être candidat à la présidentielle : « Ce jour-là c’était franchement, même si je ne m’en suis pas rendu compte, renoncer à la politique. Et renoncer à la politique, ce n’est pas renoncer aux glorioles, c’est renoncer au fait de faire quelque chose d’utile à un endroit précis. Alors que j’avais – je me fais peut-être des illusions – plein d’idées pour la France. »  A-t-il regretté de ne pas s’être présenté ? « Je n’ai pas regretté, mais je me pose la question : Est-ce que je me suis donné des arguments pour me défiler ou est-ce que c’était de bons arguments ? Cette interrogation reste toujours là. On ne peut pas de débarrasser de cela. Si un jour, à la veille de mourir, j’ai un éclair qui me vient en me disant : “tu n’as pas été très courageux, ce jour-là”, j’aurai vraiment l’impression d’avoir gâché ma vie. »  Son regard sur la crise actuelle de l’Europe (la Grèce, les migrants, la zone Euro, la perte du sentiment européen). Cécile Amar est journaliste politique au “Journal du Dimanche”. Elle y suit la gauche socialiste et écologiste. Elle a publié, chez Grasset, un “Jusque-ici, tout va mal” – sur les premières années du quinquennat de François Hollande – qui a reçu un bel accueil critique et connu un vrai succès commercial. “Il a tout gardé. Tout. Et Jacques Delors m’a laissé tout regarder. Les cartons d’archives de celui qui a incarné l’Europe contenaient de l’or. Il a joué le jeu des “résonances” entre hier et aujourd’hui. Il s’est confié, a raconté sa décennie. Il ne mentait pas, défendait ses valeurs, ne trahissait pas les siens, aimait le compromis, cherchait à convaincre. Il croyait en l’Europe, inventait l’ouverture des frontières. Syndicaliste égaré en politique, il pense que la lutte des classes existe encore. Il voulait être utile, il doutait. Il n’a pas voulu être président. C’est sa manière d’être, sa façon de faire. C’était la politique. C’était hier. Ce pourrait être aujourd’hui.”